Tsunami, 10 ans pour se reconstruire samedi 6 déc 2014 à 13H20‏ sur TF1

18/11/2014 17:26

 

Un reportage d'Eric Lehnisch. Images : Marc Sainsauve et Xavier Deleu. Montage : Luc Golfin  (Eléphant Doc) Doc de 60 mns
 

" Ce n'est pas seulement l'horreur. Un sentiment de destruction, de sidération... Pétrifiant. J'ai encore ces images qui reviennent, des images qui me figent, qui m'anesthésient ". Le 26 décembre 2004, le raz de marée le plus dévastateur de l'histoire déferle sur les pays de l'Océan Indien.  Plus de 250.000 personnes sont ensevelies sous les flots du tsunami, dont un tiers d'enfants. Comment les survivants et les proches des disparus ont-ils trouvé la force de vivre. Dix ans plus tard, deux familles françaises ont accepté de confier leur histoire...  l'enfer... Et la reconstruction. " Natacha est loin, son âme est loin. Elle nous prouve tous les jours qu'elle est vivante à travers tout ce qu'elle peut nous aider à accomplir ".
 
95 Français disparaissent dans le tsunami, presque tous en Thaïlande, la plupart dans la station balnéaire de Khao Lak, au sud du pays. Franck  Dargent est venu fêter Noël en famille. " Mes beaux-parents, ma femme Muriel, mes enfants : Mathieu 7 ans, Raphaël, 10 ans et Iris, 3 ans. "  Le soir de Noël, l'hôtel organise une fête grandiose. Le 26 au matin, toute la famille est à la piscine. Franck les quitte quelques minutes pour acheter une cassette pour son caméscope. Il est 11 heures 5 " j'ai entendu un énorme bruit de turbines ... Je me suis dit : qu'est-ce qui se passe ? J'entends des hurlements et je vois une gerbe d'eau qui m'arrive dessus avec des gens qui courent dans tous les sens. Je vois l'océan avancer et tout écraser sur son passage et je sais que je suis en train de les voir mourir. Et à 150 mètres, je vois une petite tête d'enfant surgir de l'eau... Et je ne sais pas pourquoi mais j'ai la conviction que c'est Raphaël. Je sais que Raphaël m'est redonné... On a eu une " chance " inouïe que Raphaël passe à ma portée de main et que je puisse l'attraper. "  
 
Aujourd'hui, Raphaël a 20 ans. Jeune étudiant en prépa d'école de commerce, il est passionné de musique " la musique, c'est quelque chose qui m'a permis d'être moi-même après le drame... pour ne pas rester dans mon coin à me lamenter " Son père " c'est le pilier. J'ai toujours trouvé que l'événement avait été plus dur pour mon père que pour moi. "  
 
Le matin du tsunami, Elisabeth est en Egypte, son mari Jean-Claude Zana, journaliste à Paris Match en reportage à New York. C'est par la télévision qu'ils apprennent qu'un raz-de-marée s'est produit là où leur fille Natacha, 35 ans,  passe les fêtes de Noël. Ils reviennent ensemble pour la deuxième fois sur l'île de Ko Phi Phi où leur fille unique disparaît ce matin du 26 décembre 2004. " Nous avons toujours pensé qu'en fait elle devait dormir parce que c'était le lendemain de Noël, se souvient Elisabeth, j'ai essayé de ne pas trop m'imaginer. On a essayé de garder d'elle l'image vivante. "  
 
Neuf mois après le tsunami, Elisabeth quitte la France pour " recommencer " sa vie en Thaïlande" elle est là tout le temps. On ne se reconstruit pas, on se construit autrement. Je suis apaisée. "Pendant plusieurs semaines après la catastrophe, Elisabeth veut croire que Natacha est quelque part là-bas. Mais quand elle se rend sur place avec une amie à la recherche de sa fille " en arrivant en Thaïlande, c'était évident qu'on ne la retrouverait pas. On a vu l'état de l'île, c'était évident que ce n'était pas possible. "  De l'hôtel de Natacha, il ne reste rien. " J'ai forcément pensé à cesser de vivre. Mais, j'ai pensé ce n'est certainement pas ce que Natacha veut ". Quatre mois après avoir perdu leur fille, Jean-Claude et Elisabeth Zana créent " Nat Association ". Elisabeth repart en Thaïlande cette fois pour aider les enfants victimes du tsunami " Il m'est arrivé de m'effondrer complètement mais je n'ai jamais douté ; à partir du moment où on a démarré ça, j'ai senti qu'il y aurait d'autres choses ". Parmi ces autres choses, il y a une école qu'elle reprend et finance avec l'accord des autorités Thaï, la Natacha School. Aujourd'hui, 150 enfants suivent gratuitement des cours dans dix classes. " Ça, cela a été mon moteur. Natacha était une élève brillante, elle voyageait beaucoup et pensait qu'il fallait aider les enfants à avoir un minimum d'instruction. " Et pour les élèves de l'école maternelle financée par l'association, Elisabeth est devenue " kunialle ", mamy en thaïlandais... L'affection et les sourires de tous ces enfants lui ont apporté une sérénité qu'elle pensait disparue à jamais.
 
Se sentir utile, se remettre à travailler ont été les clés de la renaissance pour Elisabeth mais aussi pour Franck. Il lui faudra huit mois après le drame pour trouver la force de retourner au bureau " De la destruction je tire mon énergie parce que j'ai un truc qui m'a traîné vers le bas et que j'ai besoin de partir vers le haut très fort. "  10 ans plus tard, sa carrière a beaucoup évolué, sa vie aussi.... Restent les questions " la culpabilité du survivant. Pourquoi moi et pourquoi eux ? Pourquoi moi, à mon âge, alors qu'eux, petits, ils sont partis. La culpabilité est douleur quand on réfléchit aux circonstances... qu'est-ce qu'ils ont souffert. Comment leur corps s'est retrouvé... Des corps qui étaient adorables... que j'embrassais... est-ce qu'ils ont été déchiquetés ? Ce sont des choses atroces, je n'avais rien de bon à tirer de ça ".  Son premier réconfort, il le trouve auprès du père François Brune dont il a lu " Les morts nous parlent ". Et puis, deux ans et demi après le tsunami, il se marie avec Satoko, une Japonaise avec qui il a un petit garçon : Octave, 3 ans.
 
Après six mois de tournage, Franck a trouvé le courage de retourner à Khao Lak, pour la première fois... A l'hôtel, où tout est arrivé ce matin du 26 décembre 2004.... Sur la plage, il allume trois bougies et de l'encens " vu les conditions dans lesquelles j'étais parti, j'avais l'impression de les avoir laissés, voire même abandonnés, donc j'avais besoin de revenir et de leur dire que j'étais là... et de les retrouver en quelque sorte. C'est quelque chose que j'avais en moi et que je n'avais pas formulé. Cela me fait du bien de pouvoir venir ici et, d'une certaine façon, de leur dire adieu et les accompagner. "

Tsunami, 10 ans pour se reconstruire  samedi 6 déc 2014 à 13H20‏ sur TF1

 

Interview du réalisateur Eric Lehnisch

Pourquoi avez-vous accepté de réaliser ce reportage ?
Le producteur, Gaël Leiblang, m'a confié vouloir faire un film sur les dix ans du tsunami et j'ai trouvé l'angle de la reconstruction, souhaité par TF1, particulièrement intéressant. Au départ, nous devions suivre quatre témoins, deux se sont désistés et je respecte leur choix. Au final, Franck et Elisabeth portent le documentaire. Franck était en Thaïlande le jour du tsunami et a perdu deux enfants ainsi que sa femme et ses beaux-parents. Elisabeth n'était pas sur place, mais elle a perdu sa fille unique. 
                                
Comment avez-vous réagi en les rencontrant ?
Je redoutais de découvrir des personnes détruites. Ce n'était pas le cas. Franck et Elisabeth parlaient du drame et, visiblement, cela leur faisait du bien. Leurs témoignages prouvent qu'une reconstruction est possible. Tous les deux se sont lancés dans l'humanitaire. Lorsque la vie a été partiellement, voire totalement détruite, il y a ce besoin de donner un sens aux années qu'il reste à vivre. Penser que l'on a quelque chose à apporter permet de continuer à vivre.
 
Avez-vous rencontré des obstacles lors du tournage ?
Au départ, le plus dur était de prendre contact avec des victimes. Pour cela, j'ai été beaucoup aidé par Sarah Nuyten, une jeune journaliste. Elisabeth connaissait déjà Gaël Leiblang qui l'avait suivie un an après le tsunami. Elle était en confiance. Pour Franck, c'était plus compliqué. Il n'avait jamais eu affaire à des journalistes et redoutait d'être trahi. Mais, en même temps, je sentais que Franck voulait raconter son histoire. La plupart des personnes qu'il rencontre et ses proches préfèrent éviter le sujet pour ne pas le blesser alors, qu'au contraire, en parler lui fait du bien.
 
C'est un sujet difficile. Comment l'avez-vous abordé ?
Personnellement, il m'a fallu surmonter une certaine peur. J'ai fait ce film sous l'angle de la reconstruction car une idée m'obsède : père de trois enfants, je me demande si je serais capable de survivre à la perte de l'un d'eux. 
 
Est-ce que Franck ou Elisabeth ont eu envie d'arrêter ?
Elisabeth non. Pour Franck, je pense que certains moments étaient particulièrement éprouvants. Notamment son retour en Thaïlande. Je ne voulais pas le faire souffrir. C'est pour cela que le tournage a duré un an. Pour Franck, il n'était question, au départ, que d'une interview. Mais petit à petit, il a accepté d'être suivi, de dévoiler ses sentiments, de nous présenter sa famille... En réalisant le film, j'ai eu le sentiment que tout s'était fait naturellement, étonnamment. 
 
On se rend compte, au fil de votre reportage, de la volonté d'effacer toute trace du tsunami des autorités thaïlandaises...
Personne n'en parle. Pour deux raisons : l'aspect business et l'aspect culturel. Les affaires doivent reprendre leurs marques et la culture bouddhiste est peu ancrée dans la commémoration des morts. 
 
Réaliser ce reportage vous a-t-il donné de nouvelles pistes de tournage ?
J'aimerais continuer à creuser la question de la reconstruction après les épreuves de la vie.

Propos recueillis par Valentine VILAREM pour TF1